Régime de participation aux acquêts et biens professionnels
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
"Statuant sur le pourvoi formé par M. Gilles G., domicilié [...],
contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2018 par la cour d'appel de Chambéry (3e chambre), dans le litige l'opposant à Mme Marie-Claude F., domiciliée [...],
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 décembre 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Poinseaux, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme C.-D., avocat général, Mme Berthomier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP S. et S., avocat de M. G., de la SCP F. et F., avocat de Mme F., l'avis de Mme C.-D., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Faits et procédure
1.Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 10 septembre 2018), M. G. et Mme F. se sont mariés sous le régime de la participation aux acquêts, le contrat de mariage stipulant, en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation ». Leur divorce a été prononcé par jugement du 26 septembre 2008. Lors des opérations de liquidation et de partage de leur régime matrimonial, M. G. a demandé que soit constatée la révocation de plein droit de la clause d’exclusion des biens professionnels figurant dans leur contrat de mariage et que ces biens soient intégrés à la liquidation de la créance de participation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2.M. G. fait grief à l’arrêt de juger que la clause d’exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage ne constitue pas un avantage matrimonial et, en conséquence, d’ordonner l’exclusion des biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux alors « qu’en matière de participation aux acquêts, une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, en cas de dissolution du régime pour une cause autre que le décès de l’un des époux, s’analyse en un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ; qu’en jugeant, en l’espèce, que la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation insérée dans le contrat de mariage des époux G.-F. ne constitue pas un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime et donc révoqué de plein droit par le jugement de divorce en application de l’article 265 du code civil, la cour d’appel a violé les articles 265, 1570 et 1572 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 265 du code civil :
3.Les profits que l'un ou l'autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial. Ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.
4.Il en résulte qu’une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce.
5.Pour dire que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage de M. G. et Mme F. ne constitue pas un avantage matrimonial et ordonner, en conséquence, l'exclusion de leurs biens professionnels du calcul de leurs patrimoines originaires et finaux, l’arrêt retient que la notion d'avantage matrimonial est attachée au régime de communauté et que les futurs époux, en excluant leurs biens professionnels, ont voulu se rapprocher partiellement du régime séparatiste, sans pour autant en tirer toutes les conséquences sur leurs biens non professionnels. Il ajoute qu'en adoptant un tel régime, dès lors que Mme F. était pharmacienne et M. G. directeur d'un laboratoire d'analyses, ils entendaient rester maîtres chacun de la gestion de leur outil de travail et de son développement futur tout en permettant à l'autre de profiter pendant le mariage des revenus tirés de l'activité, voire à le protéger si le bien professionnel était totalement déprécié.
6.En statuant ainsi, alors que cette clause constituait un avantage matrimonial révoqué de plein droit par le divorce, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit et juge que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage de M. G. et de Mme F. ne constitue pas un avantage matrimonial et ordonne en conséquence l'exclusion de leurs biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux, l’arrêt rendu le 10 septembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;
Condamne Mme F. aux dépens ;
En application l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille dix-neuf".
Faits
Une pharmacienne et un directeur de laboratoire d’analyses se sont mariés sous le régime de la participation aux acquêts. Leur contrat de mariage prévoyait une clause d’exclusion des biens professionnels.
Une telle clause est souvent suggérée par la pratique notariale en vue d’exclure les biens professionnels du calcul de la créance de participation. Elle permet en effet de préserver l'époux entrepreneur qui serait finalement débiteur d'une créance de participation envers l'autre, en lui évitant de devoir vendre son entreprise pour apurer sa dette (en cas de dissolution du régime matrimonial par divorce, séparation de corps ou liquidation anticipée de la créance de participation).
Les époux souhaitaient en l’espèce divorcer. L’ex-mari a demandé que la révocation de plein droit de la clause d'exclusion des biens professionnels figurant dans le contrat de mariage soit constatée sur le fondement de l'article 265 du Code civil et que par conséquent les biens professionnels de sa femme soient intégrés à la liquidation de la créance de participation.
La cour d’appel, considérant que ladite clause ne constitue pas un avantage matrimonial, « la notion d’avantage matrimonial » étant selon elle « attachée au régime de la communauté », ordonna l’exclusion des biens professionnels du calcul de leurs patrimoines originaires et finaux.
L’époux a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
La Haute juridiction censure cette décision, au visa de l’article 265 du Code civil.
Tout en consacrant la possibilité d'avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime de participation aux acquêts, la première chambre civile considère la clause d'exclusion des biens professionnels comme « un avantage matrimonial en cas de divorce », révoqué comme tel de plein droit.
L'application de la théorie des avantages matrimoniaux au régime de la participation aux acquêts
La doctrine se demandait si la théorie des avantages matrimoniaux était applicable au régime de la participation aux acquêts.
Il est vrai qu’à lire l'article 1527 du Code civil, il s’agit des avantages découlant « des clauses d'une communauté conventionnelle ». Or, dans le régime de participation aux acquêts, il n'y existe pas de communauté.
La Cour de cassation vient apporter une réponse inédite à cette question. Selon la Cour, la théorie des avantages matrimoniaux n'a pas pour domaine exclusif les régimes communautaires et elle s'applique au régime conventionnel non communautaire qu'est la participation aux acquêts.
L’application discutable de l’article 265 du Code civil
Par son arrêt la Cour de cassation écarte la possibilité de stipuler efficacement, dans le contrat de mariage, le maintien de l'avantage matrimonial en cas de divorce, ce qui revient à faire de l’article 265 alinéa 2 du Code civil un texte d'ordre public.
Cela est contestable, car rien dans cet article ne s’oppose à instituer une clause dans un contrat de mariage qui en écarterait l’application.
La solution est d’autant plus discutable que le plus souvent, c’est en prévision d’un divorce que les époux adoptent une telle clause.
En faisant de cette règle une disposition impérative, la Cour réduit à néant la logique intrinsèque de cette clause, qui n’a de sens qu’en cas de divorce.
Cette clause, bien que valable, est donc privée d’effet dans la plupart des cas où elle pourrait présenter un intérêt
La portée de cet arrêt est considérable. Cette solution vaut en effet pour toutes les clauses des contrats de mariage constitutives d'un avantage matrimonial, que le régime choisi par les époux soit la participation aux acquêts ou bien un autre régime.
Par exemple, la clause de plafonnement de la créance de participation à un certain pourcentage de la valeur des biens non professionnels de l'époux débiteur, sera, elle aussi révoquée en cas de divorce, De même en régime de communauté, la clause de partage inégal visée à l'article 1521 du code civil sera également anéantie.
Cette décision dissuadera également les praticiens de conseiller le régime de la participation aux acquêts, car ils ne pourront plus déjouer ses effets négatifs en cas de divorce.
Le maintien d'un avantage matrimonial ne sera concevable que si l'époux qui l’a consenti exprime la volonté de le rendre irrévocable au moment du divorce. Eu égard aux relations souvent conflictuelles qu’entretiennent deux époux qui se séparent, ce cas de figure restera certainement une hypothèse d’école.
Les notaires devront donc conseiller à leurs clients de modifier leur convention matrimoniale ou de changer de régime.
Pourra par exemple être envisagée une séparation de biens en vue de mettre à l'abri l'entreprise de celui qui pourrait craindre d'avoir à la céder pour acquitter la créance de participation de son conjoint en cas de divorce.
On peut également songer à la communauté universelle, assortie d'une clause excluant les biens professionnels des biens communs. La clause d'exclusion prenant effet pendant le mariage, elle échapperait à la révocation automatique en cas de divorce.
(Cour de cassation, 1ère civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-26.337)
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