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Reconnaissance d’une décision italienne établissant un lien de filiation

Le 11 mars 2024
Reconnaissance  d’une décision italienne établissant un lien de filiation
La Cour de cassation reconnait une décision italienne établissant la filiation paternelle, en dépit de la convention franco-italienne et de ses règles de compétence indirecte, en opérant un contrôle de proportionnalité

Par un arrêt du 13 décembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation reconnait l’opposabilité d’une décision italienne établissant un lien de filiation conformément aux conditions de compétences fixées par la Convention franco-italienne du 3 juin 1930.

1ère Civ, Cour de cassation, 13 décembre 2023, pourvoi n°22-11.727

Une femme italienne a vu son lien de filiation avec son père français établi par le Tribunal de Verbania en Italie.

Au décès de son père, elle a souhaité faire valoir sa qualité d’héritière. 

Les autres héritiers ont contesté l’opposabilité des décisions italiennes sur le territoire français.

Le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré le jugement exécutoire en France.

Les héritiers ont interjeté appel de ce jugement, invoquant sa contrariété à l’ordre public international français et l’incompétence indirecte des juridictions italiennes.

La Cour d’appel de Paris a rejeté leurs demandes, estimant que la compétence indirecte du juge italien était établie et que la décision n’enfreignait pas les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme et l’ordre public international français.

Les héritiers ont porté l’affaire en cassation, mais leur pourvoi a été rejeté.

 

1.      Sur la compétence indirecte en application de la Convention franco-italienne du 3 juin 1930

L’affaire présentait une particularité intéressante en ce qu’elle faisait intervenir une convention bilatérale aujourd’hui presque désuète du fait des règlements européens.

Toutefois, aucun règlement européen ne prévoyant de règles de conflit en matière de filiation, la convention demeure applicable en cette matière dans des affaires franco-italiennes.

La question qui se posait en l’espèce était celle de la compétence indirecte de la juridiction italienne dans la mesure où le défendeur était français et vivait en France.

Or l’article 11 de la convention prévoit une reconnaissance des décisions rendues dès lors qu’elles émanent de la juridiction du lieu de résidence du défendeur.

Ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la décision avait été rendue par la juridiction italienne, lieu de résidence de la demanderesse.

Néanmoins, selon la Cour de cassation, les juges d’appel ont correctement appliqué la Convention franco-italienne du 3 juin 1930, affirmant qu’à défaut de saisine de la juridiction de l’Etat de la résidence du défendeur, la Convention permet, à défaut, de se fonder sur les règles de droit international privé de l’Etat dans lequel l’exécution de la décision est demandée.

Rappelons qu’en France, la compétence en matière de filiation est également celle du domicile du défendeur.

Pourtant, la Cour a considéré qu’en raison de la nationalité de Madame, il existait des liens suffisamment étroits entre le lieu du litige et le juge saisi.

La Cour de cassation a validé le raisonnement de la juridiction d’appel considérant que les juridictions italiennes étaient en l’espèce compétentes pour établir le lien de filiation et que la décision était donc opposable en France.

Cette décision ouvre une voie inédite de reconnaissance de décisions étrangères alors même que la condition de la compétence indirecte n’est pas établie au regard des textes.

 

2.      Sur l’absence de contrariété à l’ordre public international français

 

La Cour de cassation a en outre estimé que c’est à bon droit que la Cour d’appel avait retenu une absence de contrariété à l’ordre public international français.

Les héritiers prétendaient que la décision italienne violait l’ordre public international en portant atteinte à la sécurité juridique et aux droits fondamentaux.

La Cour d’appel a opéré un véritable contrôle de proportionnalité en examinant les conséquences concrètes de ces décisions pour les parties.

Elle a d’abord admis que la reconnaissance de la décision italienne pouvait constituer une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale des héritiers. Les juges ont également reconnu que cette décision pouvait porter atteinte à la sécurité juridique en ce qu’elle entraine la réouverture de la succession parentale.

Toutefois, après mise en balance des enjeux en présence, la Cour d’Appel a conclu que l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle garantit le droit de la requérante au respect de sa vie privée.

Elle rappelle que le droit au respect de sa vie privée et familiale englobe le droit de faire reconnaître son ascendance, même en l’absence de lien effectif. Les juges précisent également que l’inopposabilité de la décision empêcherait Madame d’obtenir un acte de naissance français conforme à la vérité biologique et à celui transcrit en Italie. En l’absence d’opposabilité de la décision italienne en France, elle ne pourrait se prévaloir des effets de sa filiation de sorte qu’elle serait privée d’une partie de ses éléments d’identité.

Les juges ont donc rejeté l’idée que l’ingérence porterait une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux des héritiers.

Ils ont également rejeté l’argument selon lequel Madame agirait exclusivement par intérêt patrimonial, notant que la femme avait engagé l’action de filiation du vivant de son père et justifié des raisons de la tardiveté de son action.

Les juges ont conclu que l’exécution en France de la décision italienne ne troublerait pas la paix et l’équilibre familial, étant donné que la femme était née avant le mariage du défunt.

Enfin, ils ont écarté l’idée d’une atteinte à la sécurité juridique, car les héritiers étaient informés de la filiation établie et avaient choisi de régler la succession sans attendre.

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