Filiation, contestation de paternité, délai pour agir et respect vie privée
Deux questions se posaient en l’espèce : le délai pour agir en contestation de paternité, du fait de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, la question de savoir si le délai de prescription portait ou non une atteinte disproportionnée au regard de l’article8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Cour de cassation a considéré que dès lors que le délai pour intenter l’action en contestation de paternité était sous l’empire de l’ancienne loi, un délai trentenaire, courait à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Précisément en l’espèce, la demanderesse à l’action en contestation de paternité était irrecevable ayant dépassé le délai pour agir en contestation de paternité.
La question qui se posait alors, était de savoir si le délai pour introduire l’action en contestation de paternité portait ou non une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressée, au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.
La Cour de cassation a considéré que le délai de prescription pour introduire l’action en contestation de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.
« Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bourges, 6 juillet 2017), que Mme X... a été inscrite à l’état civil comme étant née le [...] de Paulette A... et Jacques X..., son époux ; que ceux-ci sont décédés respectivement les [...] ; que, par testament authentique reçu le 5 octobre 2010, Guy B... a déclaré reconnaître Mme X... comme étant sa fille ; qu’il est décédé le [...] ; qu’en décembre 2014 et janvier 2015, Mme X... a assigné ses sept frères et soeurs, un neveu, par représentation de son père décédé, ainsi que Mme Marie-Claire B..., fille de Guy B..., et ses deux filles mineures, C... et D..., en contestation de la paternité de Jacques X... et établissement de celle de Guy B... ; que Mme Marie-Claire B... s’est opposée à cette action ;
Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt de déclarer son action en contestation de paternité irrecevable et de rejeter sa demande d’expertise biologique, alors, selon le moyen :
1°/ que la filiation est un élément essentiel du droit à l’identité personnelle, partie intégrante du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il s’ensuit que l’action tendant, pour un enfant, à faire établir sa filiation biologique est une action d’état devant demeurer imprescriptible a fortiori lorsque le parent biologique a manifesté son intention d’établir son lien de filiation ; qu’en l’espèce, le lien de filiation de Mme X... à l’égard de M. B... était établi par un test ADN auquel M. B... s’était spontanément livré ; que l’action intentée par Mme X... n’avait d’autre objet que de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, conformément à la volonté formellement exprimée, de son vivant, par M. B... ; qu’en jugeant néanmoins qu’il y avait lieu de faire application de l’article 321 du code civil pour déclarer l’action irrecevable, la cour a porté atteinte à la substance du droit à la filiation biologique de la requérante ;
2°/ que la filiation est un élément essentiel du droit à l’identité personnelle, partie intégrante du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il s’ensuit que les juges, doivent, pour statuer sur une action relative à la filiation fondée sur les articles 320 et suivants du code civil, apprécier si concrètement, dans l’affaire qui leur est soumise, la mise en oeuvre d’une prescription ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale conventionnellement garanti, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi ; qu’en objectant à Mme X... de s’être abstenue d’agir dans le délai de prescription (soit le [..] décembre 2011) motif pris de sa connaissance de la probabilité de la paternité de M. B..., plus d’un an avant l’expiration de ce délai, sans autrement s’expliquer sur la tardiveté de cette révélation, ni sur la volonté formellement exprimée par son véritable père dans un testament du 5 octobre 2010 (soit dans le délai de prescription) et pas davantage sur l’espérance légitime de la requérante de voir sa filiation établie par l’effet d’un testament qui l’avait déterminée à ne pas exercer alors d’action judiciaire, tandis que le parquet lui-même s’opposera à la transcription de sa filiation le 6 juin 2014, soit après l’expiration du délai susmentionné, la cour n’a pas opéré une balance concrète entre les intérêts en présence et s’est bornée à faire abstraitement application d’un délai de forclusion sans égard pour les circonstances spéciales justifiant l’absence d’action judiciaire dans le délai ainsi que la fermeture de tout recours utile contre la décision du parquet, méconnaissant ainsi les dispositions de l’article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le droit au respect de la vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales comprend, outre le droit de faire reconnaître son ascendance, celui de connaître son ascendance ; qu’il en résulte que la prescription de l’action relative à la filiation ne fait pas obstacle à une action tendant à la reconnaissance de l’ascendance génétique par voie d’expertise ; qu’en l’espèce Mme X... sollicitait à titre principal l’établissement de sa filiation biologique à l’égard de M. Rigaux et subsidiairement, que soit ordonné une expertise biologique aux fins de caractériser cette ascendance génétique ; que pour débouter la requérante de cette demande spécifique, la cour se contente de constater la prescription de l’action relative à la filiation ; qu’en statuant ainsi, la cour a méconnu le caractère autonome de l’action en reconnaissance de l’ascendance par voie d’expertise et violé les dispositions précitées ;
Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 320 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ;
Que l’arrêt en déduit exactement que Mme X... ne pouvait faire établir un lien de filiation avec Guy B... sans avoir, au préalable, détruit le lien de filiation avec Jacques X... ;
Attendu, ensuite, que le délai pour agir en contestation de paternité, qui était de trente ans en application des textes et de la jurisprudence antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, est désormais de dix ans, en l’absence de possession d’état conforme au titre, en application des articles 334 et 321 du code civil, issus de cette ordonnance ; qu’il résulte de l’article 2222, alinéa 2, du code civil qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;
Que le délai de dix ans applicable à l’action en contestation de paternité de Mme X..., qui a couru à compter du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, ne peut donc excéder la durée de trente ans, courant à compter de la majorité, prévue par la loi antérieure ;
Attendu qu’ayant relevé que Mme X..., née le [...], était devenue majeure le [...], de sorte que le délai pour agir en contestation de paternité expirait le [...] décembre 2011, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en contestation de paternité engagée en décembre 2014, après l’expiration du délai de prescription prévu par la loi antérieure, était irrecevable ;
Attendu que, selon le moyen, cette solution porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X..., garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’aux termes de ce texte :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;
Attendu que ces dispositions sont applicables en l’espèce dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée ;
Attendu que, si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la loi, dès lors qu’elle résulte de l’application des textes précités du code civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de prescription des actions relatives à la filiation ; que cette base légale est accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ;
Qu’elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique ;
Que les délais de prescription des actions en contestation de paternité ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif ;
Que, cependant, il appartient au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ;
Attendu que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que Mme X... n’a jamais été empêchée d’exercer une action tendant à faire établir sa filiation biologique, mais s’est abstenue de le faire dans le délai légal ; qu’il constate qu’alors qu’elle avait des liens affectifs avec Guy B... depuis sa petite enfance, elle a attendu son décès, le [...] 2014, et l’ouverture de sa succession pour exercer l’action ; qu’il ajoute qu’elle a disposé de délais très importants pour agir et qu’elle disposait encore d’un délai jusqu’au [..] décembre 2011, lorsqu’elle a été rendue destinataire, le 6 février 2010, d’un test de paternité établissant, selon elle, de façon certaine, le lien de filiation biologique avec Guy B... ;
Que de ces constatations et énonciations, dont il ressort que Mme X... a eu la possibilité d’agir après avoir appris la vérité sur sa filiation biologique, la cour d’appel a pu déduire que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre et qu’il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale «
(Cass, Civ1, 7 novembre 2018, pourvoi n°17-25.938)
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