Exéquatur d'un jugement étranger: lien avec la juridiction étrangère
L'exéquatur d’un jugement étranger : nécessité d’un lien caractérisé avec le pays dont le juge a été saisi
L'exéquatur est une procédure par laquelle le bénéficiaire d’un jugement étranger entend lui conférer force exécutoire sur le territoire français.
Lorsqu’il n’est pas poursuivi en application d’une convention internationale, l’exequatur ne peut être accordé que si la demande satisfait plusieurs conditions, développées par la jurisprudence (Civ. 1ère, 20 février 2007, no 05-14.082).
Tout d’abord, le juge français ne devait pas disposer lui-même d’une compétence exclusive pour trancher le litige ayant donné lieu au jugement faisant l’objet de la demande d’exequatur. Le litige doit également se rattacher d’une façon ou d’une autre au pays dans lequel le juge étranger a été saisi.
Ensuite, le jugement étranger doit être conforme à l’ordre public international, lequel peut se définir comme les principes fondamentaux de l’ordre juridique.
Enfin, le demandeur ayant saisi la juridiction étrangère ne doit pas avoir commis de fraude pour obtenir une décision.
La Cour de cassation, par un arrêt du 30 novembre 2022, s’intéresse tout particulièrement à la première de ces conditions.
Cass. 1ère Civ, 30 novembre 2022, Pourvoi n° 21-11.114
En l’espèce, une femme de nationalité ukrainienne est mariée à un homme de nationalité argentine. De cette union est issu un enfant, né en France en 2014.
Le 2 février 2017, un tribunal ukrainien a déchu l’homme de ses droits parentaux et l’a condamné à payer à Madame une pension alimentaire pour l’enfant.
Le père interjetait appel. Par un arrêt du 12 septembre 2017, la Cour d’appel de Kiev infirme le jugement sur la déchéance des droits parentaux mais le confirme sur la pension alimentaire.
Madame engage alors une instance en exequatur de ces décisions en France.
La Cour d’appel de Paris, le 20 octobre 2020, rejette ses demandes. Elle se pourvoit alors en cassation.
La demanderesse indique que la Cour d’appel de Paris aurait violé l’article 509 du code de procédure civile et ce, pour plusieurs raisons.
D’une part, la Cour d’appel aurait écarté la compétence indirecte du juge ukrainien pour des motifs impropres puisqu’elle a retenu que la demanderesse n’établissait pas résider ou être domiciliée en Ukraine tout en constatant que celle-ci est de nationalité ukrainienne.
D’autre part, les jugements dont la demanderesse demande l’exéquatur ne seraient pas contraire à l’ordre public international de procédure puisque les deux parties ont été en mesure de faire valoir leurs moyens, notamment par l’usage d’une voie de recours. Il n’est pas démontré que les intérêts d’une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure.
Enfin, la demanderesse souligne que la fraude ne peut faire échec à l’accueil d’une décision étrangère que lorsque la manœuvre frauduleuse est commise dans le cadre de l’instance ayant donné lieu à la décision dont l’exequatur est demandé.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Celle-ci rappelle tout d’abord qu’en application de l’article 509 du Code de procédure civil, le juge français doit, en l’absence de convention internationale, vérifier la régularité internationale de cette décision.
Pour cela, il doit s’assurer que la décision remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et d’absence de fraude.
La haute juridiction poursuit en expliquant qu’il résulte des principes régissant la compétence juridictionnelle internationale ainsi que de l’article 1070 du code de procédure civile, que, toutes les fois que la règle française de conflit n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, à condition que le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux.
Or, en l’espèce, la demanderesse au pourvoi avait effectué de nombreux voyages et de longs séjours en Ukraine mais n’établissait pas y avoir un domicile ou une résidence.
Ainsi, la Cour d’appel en a justement déduit l’absence de lien caractérisé entre le litige et les juridictions ukrainiennes. Les décisions dont l’exequatur était demandé n’avaient pas été rendues par une juridiction internationalement compétente et ne pouvaient dès lors pas être exécutées en France.
La Cour de cassation exerce un contrôle au cas par cas du lien entre le litige et le pays dont le juge a été saisi. Ainsi, la nationalité de la demanderesse ne pouvait suffire à justifier la compétence du tribunal ukrainien.
A titre de comparaison, en matière de divorce, la Cour de cassation a jugé qu’il existe un lien caractérisé dès lors que la décision émane d’un Etat dont les deux époux ont la nationalité (Civ. 1ère, 17 février 2004, n°02-17.479).
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