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Compétences respectives du Juge des enfants et du Juge aux affaires familiales

Le 02 décembre 2021
Compétences respectives du Juge des enfants et du Juge aux affaires familiales
Les compétences du Juge aux affaires familiales et du Juge des enfants ne sont pas les mêmes mais parfois se chevauchent et semblent être concurrentes. La Cour de cassation recadre les compétentes distinctes de ces deux Juges

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 octobre 2021 est relatif aux champs de compétences concurrents des juge aux affaires familiales et juge des enfants.

 

En l’espèce, de l’union d’un homme et d’une femme est issue une enfant, née en 2009. Par la suite, les parents se sont séparés et le juge aux affaires familiales a, par jugement du 13 avril 2018, prononcé le divorce, fixé la résidence de l’enfant au domicile de Monsieur et accordé un droit de visite et d’hébergement à Madame.

La même année, le 5 décembre, le juge des enfants a ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert.

Quelques mois plus tard, le 4 juin 2019, le juge des enfants a décidé de confier l’enfant à Monsieur et d’accorder à Madame un droit de visite médiatisé. 

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a, le 30 octobre 2019, annulé ce jugement du 4 juin 2019 en ce qu’il avait ordonné le placement de l’enfant au domicile du père et organisé un droit de visite médiatisé à la mère. La motivation de l’arrêt de la cour d’appel reposait sur l’exclusivité de la compétence du juge aux affaires familiales pour statuer sur le droit de visite et d’hébergement de Madame.

 

Le cœur du problème est ici l’articulation entre les compétences respectives du juge des enfants et du juge aux affaires familiales.

Et, la rédaction de l’article 375-3 du code civil relatif à l’office du juge des enfants n’est pas de nature à éclairer cette articulation, c’est même plutôt l’inverse.

Dans une première partie, cette disposition détaille les mesures de placement que peut décider le juge des enfants, le juge des enfants étant compétent pour ordonner toute mesure d’assistance éducative en application de l’article 375-1 du code civil. Ces mesures, par exemple le placement de l’enfant chez un autre membre de la famille ou à l’aide sociale à l’enfance, sont par essence de nature à impacter une décision antérieure du juge aux affaires familiales relative à la résidence l’enfant.

A ce propos, la seconde partie de cet article 375-3 du code civil précise : « lorsqu'une demande en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu'une demande en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou confiant l'enfant à un tiers ».

Si ce texte permet d’articuler les mesures relatives à la résidence de l’enfant prises dans deux cadres différents - l’un celui de la séparation des parents, l’autre des mesures d’assistance éducative -, il ne renseigne pas ou peu sur l’articulation des compétences respectives du juge des enfants et du juge aux affaires familiales. C’est la Cour de cassation qui a donc dû s’y atteler.

 

 

Dans un premier temps, la Haute juridiction a eu une interprétation extensive de l’article 375-3 du code civil (dont la rédaction n’a que peu été modifiée depuis les arrêts cités ci-dessous) puisqu’elle a considéré que lorsqu'un fait de nature à entraîner un danger pour l'enfant s'était révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence habituelle de celui-ci chez l'un des parents et organisant le droit de visite et d'hébergement de l'autre, le juge des enfants pouvait modifier les modalités d'exercice de ce droit, alors même qu'aucune mesure de placement n'était ordonnée (1ère Civ., 26 janvier 1994, 1ère Civ., 10 juillet 1996). Cette lecture de l’article 375-3 du code civil était très critiquable en ce que cet article régente le régime des mesures de placement et une telle décision venait à étendre la compétence du juge des enfants, sur le fondement de cet article, hors du cadre de l’application de mesures de placement. 

Et, l’arrêt à l’étude va dans ce sens, évoquant explicitement un dévoiement, du fait de ces solutions jurisprudentielles, de la compétence du juge des enfants : « en conférant un pouvoir concurrent au juge des enfants, quand l'intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d'exercice de l'autorité parentale est insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu'alors a favorisé les risques d'instrumentalisation de ce juge par les parties ».

 

Cette solution a par la suite été abandonnée.

 

La jurisprudence a évolué et deux arrêts de la Haute juridiction, également cités par l’arrêt à l’étude, ont modifié la position de la Cour de cassation.

Ainsi, la Cour de cassation a retenu, en premier lieu, « que la compétence du juge des enfants est limitée, en matière civile, aux mesures d'assistance éducative et que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et la résidence de l'enfant » (1ère Civ., 14 novembre 2007) et en second lieu que « le juge aux affaires familiales est compétent pour fixer, dans l'intérêt de l'enfant, les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, sauf à ce que juge des enfants ait ordonné un placement sur le fondement de l'article 375-3 du code civil » (1ère Civ., 9 juin 2010).

 

Par le biais de ces deux arrêts, les compétences respectives de ces deux juges se sont éclaircies. On en a bien compris que chaque juge a son propre terrain,  que chacun a son champ de compétence exclusive, excluant l’autre juge. Pour le juge des enfants ce sont les mesures d’assistance éducative et pour le juge aux affaires familiales ce sont les modalités d'exercice de l'autorité parentale et de la résidence de l'enfant.

Bien évidemment, les choses se compliquent lorsque ces mesures se chevauchent, ou lorsqu’une décision du champ de compétence de l’un a une conséquence sur les mesures ordonnées par l’autre. C’est ici que d’autres éclaircissements étaient nécessaires.

On comprenait de l’arrêt du 9 juin 2010 que dès l’instant où le placement d’un enfant a été ordonné - forcément par le juge des enfants car il s’agit d’une mesure éducative et il est seul compétent en la matière (375-1 du code civil) -, seul ce même juge peut statuer sur ses modalités de relation avec les tiers, parent ou non, à l’exclusion du juge aux affaires familiales qui est incompétent, ce qui est tout à fait en phase avec l’alinéa 4 de l’article 375-7 du code civil. En quelque sorte, le placement d’un enfant emporte dévolution exclusive de compétence au juge aux enfants de toutes les questions relatives à ses modalités de relation avec les tiers, et a fortiori des questions de modalité de résidence.

 

A la lecture de cette position jurisprudentielle, une question peut venir à l’esprit : dans quel cadre un tel placement peut être ordonné lorsque le juge des enfants est saisi postérieurement à une décision du juge aux affaires familiales statuant sur les modalités de résidence de l’enfant ? C’est l’alinéa 2 de l’article 375-3 du code civil - déjà présenté ci-dessus - qui répond à cette question. Il indique en effet que le placement d’un enfant postérieurement à une telle décision du juge aux affaires familiales n’est possible que « si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision ».

 

Toutefois, malgré ces réponses, la problématique, plus large, de la possibilité pour le juge des enfants d’interférer dans les modalités d’exercice de l’autorité parentale avec la prise de n’importe quelle mesure d’assistance éducative, après que le juge aux affaires familiales a été saisi, continuait de se poser. C’est l’arrêt à l’étude qui vient éclaircir ce point en prenant le soin de bien prendre en considération les solutions jurisprudentielles déjà posées ainsi que les dispositions en vigueur en la matière.

Ainsi, il retient que « il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu'un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l'enfant et fixé le droit de visite et d'hébergement de l'autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d'hébergement décidé par le juge aux affaires familiales que s'il existe une décision de placement de l'enfant au sens de l'article 375-3 (...) et si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ». Ainsi, la compétence du juge des enfants pour interférer dans les modalités d’exercice de l’autorité parentale après que le juge aux affaires familiales a été saisi est dépendante de la réunion de deux conditions :

-        S’il existe une décision de placement de l'enfant au sens de l'article 375-3 du code civil, la Cour de cassation précisant à ce sujet que le juge des enfants ne peut prendre de décision visant « à placer l'enfant chez le parent qui dispose déjà d'une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l'enfant à son domicile ».

-        Si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales (condition explicite de la seconde partie de l’article 375-3 du code civil).

 

Ainsi, en prenant le problème dans l’autre sens, à la question « de quelle compétence le juge des enfants dispose pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale lorsqu’il n’a pas ordonné de placement et que le juge aux affaires familiales a déjà été saisi ? », la réponse est simple : aucune.

 

 

Par conséquent, en l’espèce, la décision du juge des enfants du 4 juin 2019 ayant confié l’enfant au père ne pouvait s’analyser en un placement au sens de l’article 375-3 du code civil, ce juge n’ayant pas la possibilité de placer l’enfant chez Monsieur en ce qu’il disposait déjà d'une décision du juge aux affaires familiales fixant sa résidence à son domicile. Ainsi, en l’absence de décision de placement de l’enfant, le juge des enfants était incompétent pour statuer sur le droit de visite et d'hébergement de la mère. L’arrêt de la cour d’appel doit donc être confirmé et le pourvoi en cassation rejeté.

 

 

Cass Civ1, 20 octobre 2021, pourvoi n° 19-26.152

 

 

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