Action en recherche de paternité , refus de se soumettre à une expertise biologique
Cour de cassation - Première chambre civile - 8 juillet 2020 / n° 18-20.961
Reconnaissance de paternité et refus de se soumettre à une expertise biologique
Le défendeur à une action en recherche de paternité ne peut légitimement refuser de se soumettre à l’expertise biologique judiciairement ordonnée en invoquant l’absence de décision irrévocable sur la recevabilité de l’action elle-même.
En 2011, une mère a agi en recherche de paternité en représentation de son enfant mineur, né en 2003.
En première instance, les juges ont déclaré l'action recevable et ont ordonné une expertise biologique à laquelle le père présumé a refusé de se soumettre.
La Cour d’appel de Reims a déclaré l’action en recherche de paternité recevable (Cour d’appel de Reims, 24 octobre 2014) et a déclaré la paternité du défendeur, en conséquence de son refus de se soumettre à l’expertise biologique ordonnée sans aucun motif légitime (Cour d’appel de Reims, 8 juin 2018).
Le défendeur s’est alors pourvu en cassation en soutenant dans un premier temps que l'action en recherche de paternité était irrecevable car prescrite.
Dans un second temps, en s’appuyant sur le fait que la Cour n'avait pas encore rendu sa décision définitive sur la recevabilité de cette action, le défendeur soutenait que cette irrecevabilité potentielle constituait un motif légitime pour refuser de se soumettre à l'expertise génétique ordonnée.
I. Sur la recevabilité de l’action en recherche de paternité
Si en vertu de l’article 327 du Code civil, l’enfant a qualité pour exercer une action en recherche de paternité, l’article 328 du même Code prévoit que pendant la minorité de l’enfant, le parent à l'égard duquel la filiation est établie, a seul qualité pour exercer cette action. C’est sur ce dernier fondement que la mère de l’enfant a agi en l’espèce.
Selon les dispositions transitoires de l'ordonnance du 4 juillet 2005 (art. 20-IV), seules les actions prévues par les articles 327 et 329 du code civil pouvaient être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne selon laquelle l'action en recherche de paternité ne pouvait être exercée que dans les deux ans suivant la naissance de l'enfant ou sa majorité.
Le défendeur soutenait ici que dans la mesure où la mère avait agi sur le fondement de l’article 328 du Code civil qui n’était pas visé par la disposition transitoire et qu’elle avait agi plus de huit ans après la naissance de son enfant, l’action de la mère se heurtait à la forclusion et était donc irrecevable.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation et a considéré que l’action exercée par le représentant légal de l’enfant mineur sur le fondement de l’article 328 du Code civil n’était pas prescrite en application des dispositions transitoires de l’ordonnance du 4 juillet 2005.
Selon la Cour, la forclusion de deux ans tirée de la loi ancienne n’est pas opposable dès lors qu’au 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, la prescription de 10 ans n’est pas acquise.
La Cour de cassation confirme donc la recevabilité de l’action qui avait été prononcée par les juges du fond.
Cette solution n’est pas surprenante. Il est en effet logique que la disposition transitoire qui visait l’action en recherche de paternité reconnue à l’enfant à l’article 327 du Code civil ait également visé les modalités d’exercice de cette action prévues à l’article 328 du même Code.
II. Sur l’absence de motif légitime à refuser une expertise biologique
A. L’absence de décision irrévocable sur la recevabilité de l’action en recherche de paternité ne constitue pas un motif légitime pour refuser de réaliser l’expertise biologique ordonnée.
Le père présumé, en s’appuyant sur l’article 310-3 du Code civil et sur son droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, soutenait qu’il disposait d’un motif légitime pour refuser de se soumettre à l’expertise génétique du fait que la question de la recevabilité de l’action intentée contre lui n’avait pas été tranchée.
Rejetant cet argument, la Cour de cassation a jugé que « L'absence de décision irrévocable sur la recevabilité d'une action en recherche de paternité ne peut constituer un motif légitime, même au regard du droit au procès équitable, pour refuser de se soumettre à une expertise biologique ordonnée à l'occasion de cette action par le tribunal, s'agissant d'une mesure qui, destinée à lever les incertitudes d'un enfant sur ses origines, doit être exécutée avec célérité. »
Sur ce sujet, la Cour de cassation a pu admettre que l’irrecevabilité de l’action en contestation de paternité engagée entrainait l’irrecevabilité de la demande d’expertise sanguine (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 02-18.654).
Ici, la Cour de cassation indique que la simple éventualité de l’irrecevabilité de l’action engagée ne peut constituer un motif légitime pour refuser de procéder à l’expertise.
Cette solution est opportune dans la mesure où elle dissuadera les justiciables d’initier des recours dilatoires.
B. Le refus de se soumettre à une expertise génétique constitue un indice de paternité.
Le défendeur invoquait également une violation de son droit à un procès équitable en ce que les juges du fond avaient interprété son refus de procéder à l’expertise biologique comme un indice de sa paternité.
La Cour de cassation, confirmant une jurisprudence constante, a estimé que les juges du fond pouvaient, à bon droit, déduire du refus du défendeur de se soumettre à l’expertise un indice supplémentaire de paternité, cette déduction n’étant pas contraire au droit à un procès équitable (Civ. 1re, 12 juin 2013, n° 12-19.569).
La Cour de cassation a plusieurs fois jugé que le refus se soumettre à l'expertise biologique devait être analysé, en l'absence de tout motif légitime clairement établi, comme un aveu de paternité de la part de l'intéressé (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-24.588 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-19.026).
La Cour européenne des droits de l’homme s’était également prononcée sur cette question dans une affaire Cannone c. France (CEDH 25 juin 2015, Cannone c. France, req. n° 22037/13). Elle avait conclu qu’une déclaration de paternité fondée sur un refus de procéder à une expertise génétique ne constituait pas une atteinte à la vie privée du défendeur dès lors qu'un tel refus venait appuyer d'autres éléments de preuve sur lesquels les juges s'étaient également fondés pour prononcer la paternité.
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