Couples de même sexe: condamnation par la Cour européenne des Droits de l'Homme
La question posée à la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) était de savoir si l’absence de reconnaissance des couples de même sexe par la Russie portait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention.
Arrêt CEDH, 17 janvier 2023, requêtes n° 40792/10, 30538/14 et 43439/14, affaire FEDOTOVA et autres c/ Russie
Trois couples de mêmes sexes demandaient, entre 2009 et 2012, une autorisation de se marier en Russie. Ces demandes étaient toutes étés rejetés, certaines sans même avoir été examinées.
Après épuisement des voies de recours internes, les requérants saisissaient la Cour européenne des droits de l’homme. Ils se plaignent de l’impossibilité d’obtenir une reconnaissance et une protection juridique de leurs relations de couples en raison du refus des autorités russes de se marier et en l’absence de toute autre forme de reconnaissance et de protection des couples de même sexe en Russie.
Cette absence de reconnaissance leur cause de nombreux problèmes au quotidien. En tant que couples homosexuels, ils ne peuvent accéder aux programmes de logement et d’aides financières destinées aux familles, ne peuvent hériter l’un de l’autre et ne peuvent bénéficier d’en pension alimentaire en cas de séparation ou de décès. Ces couples ne peuvent pas non plus bénéficier de congés familiaux ou du droit de rendre visite librement à leur partenaire en prison.
De nombreuses associations intervenaient volontairement pour soutenir la mise en place d’une reconnaissance juridique des couples homosexuels en Russie.
Le Gouvernement Russe estimait, au contraire, que les requérants faisaient une interprétation trop extensive de l’article 8 de la Convention. En effet, celui-ci souligne que lors de la signature de la Convention européenne des droits de l’Homme, le droit de se marier et de fonder une famille était réservé à « un homme et une femme ». Leur imposer aujourd’hui une interprétation différente serait contraire à la Convention de Vienne relative au droit des traités. De plus, aucun consensus n’existerait au sein du Conseil de l’Europe.
Le Gouvernement soulignait ensuite que l’ouverture du mariage des couples de même sexe serait contraire à la Constitution et à l’ordre public russe. Au-delà, la création d’une nouvelle forme d’union légale similaire au mariage serait « déraisonnable du point de vue juridique ».
Les couples homosexuels bénéficieraient, selon lui, d’une protection suffisante puisqu’ils ont la possibilité de recourir au droit commun, ce qui leur permettrait notamment de rédiger des testaments.
Enfin, la société russe ne serait pas prête à offrir une telle reconnaissance aux couples du même sexe. Cet argumentaire repose sur plusieurs études menées auprès de la population russe. La première concluait que 69% des citoyens russes sont intolérants vis-à-vis des personnes homosexuelles et contre le fait de leur permettre de se marier ou d’obtenir toute forme de protection. La seconde concluait même que 59% des Russes considèrent que les homosexuels ne devraient pas avoir les mêmes droits que les personnes hétérosexuelles.
La Cour européenne des droits de l’Homme, réunie en grande chambre, souligne que la reconnaissance officielle des couples de même sexe participe non seulement au développement de leur identité personnelle mais aussi de leur identité sociale que l’article 8 de la Convention leur garanti. La reconnaissance permet de donner une légitimité vis-à-vis du monde extérieur.
Après avoir rappelé que la Convention est un instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions actuelles, la Cour indique que les Etats membres sont tenus d’offrir un cadre juridique permettant aux personnes de même sexe de bénéficier d’une reconnaissance et d’une protection adéquates de leurs relations de couple.
La Cour explique que les Etats ont une marge d’appréciation dont l’étendue varie en fonction de différents facteurs. Lorsqu’un aspect essentiel de l’existence ou de l’identité d’un individu est en jeu, la marge de manœuvre laissée à l’Etat est restreinte. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus entre les membres du Conseil de l’Europe, la marge de manouvre est plus large, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates.
En l’espèce, il s’agit bien d’une question qui touche des aspects particulièrement importants de l’identité personnelle et sociale des personnes. Bien qu’il n’existe pas de consensus au sein des membres du Conseil de l’Europe, il existe une tendance nette et continue en faveur d’une reconnaissance et d’une protection juridique des couples de même sexe. Ainsi, la marge d’appréciation des Etats est nécessairement réduite en la matière.
La Cour précise toutefois que les Etats disposent d’une large marge de manœuvre pour décider de la forme de la reconnaissance à conférer aux couples de même sexe que sur le contenu de la protection à leur accorder. Cependant, la Convention ayant pour but de protéger des droits concrets et effectifs (non théoriques ou illusoires), il importe que la protection accordée par les Etats parties aux couples de même sexe soit adéquate.
La Cour constate que le droit russe n’offrait aucune protection aux couples de même sexe, et que cela n’a aucunement évolué postérieurement à l’introduction de ces trois requêtes. L’Etat ne semble avoir aucune intention de modifier son droit interne.
Bien qu’il soit légitime de soutenir et encourager « la famille traditionnelle », encore faut il ne pas recourir à cette fin à des mesures destinées ou aboutissant à léser, comme c’est le cas ici, les autres formes de famille qui jouissent tout autant du droit à la protection de leur vie privée et familiale. La reconnaissance des droits aux couples de même sexe n’implique pas, en soi, un affaiblissement des droits reconnus à d’autres personnes ni à d’autres couples.
En outre, la Cour a tenu à rappeler, comme elle l’avait déjà fait à de nombreuses reprises, que la démocratie ne se réduit pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante. En pareil cas, le droit des groupes minoritaires à la liberté de religion, d’expression et de réunion deviendrait purement théorique et non pratique.
La Cour européenne des droits de l’Homme conclut ainsi à la violation de l’article 8 de la Convention par la Russie.
Afin de mieux comprendre le contexte dans lequel cet arrêt a été rendu, il est nécessaire de s’intéresser à la l’évolution législative russe (1) pour ensuite faire un bilan de la situation des couples de même sexe au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe (2).
1. La législation russe relative aux couples de même sexe
La législation russe ne reconnait aucune protection aux couples de même sexe. Plus encore, les dernières réformes sont venues renforcer l’exclusion des personnes homosexuelles.
La loi du 14 mars 2020 procédait à plusieurs modifications constitutionnelles.
D’une part, elle ajoutait à l’article 72§1 de la Constitution, que le mariage est une « union entre un homme et une femme ».
D’autre part, cette loi est venue compléter l’article 114 de la Constitution en ajoutant que le Gouvernement assure la mise en œuvre en Russie « d’une politique d’Etat uniforme et d’orientation sociale dans les domaines du soutien, du renforcement et de la protection de la famille » ainsi que « de la préservation des valeurs traditionnelles ».
Le code de la famille, à son article 12 prévoit que le mariage est « subordonné au consentement libre et mutuel d’un homme et d’une femme ».
La « promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs » a même été érigé en infraction. Il s’agit en réalité d’interdire de communiquer des informations sur l’homosexualité, jugeant qu’une telle communication créerait « une impression fausse d’équivalence sociale entre les relations conjugales traditionnelles et les relations conjugales non traditionnelles »
De la même manière, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle russe fait reposer la protection de la famille sur sa finalité biologique, c’est-à-dire la mise au monde d’enfants, et donc sur le couple hétérosexuel.
Hélas, la portée de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 17 janvier dernier risque d’être assez limité au regard du contexte actuel.
Constatant la menace sur la sécurité en Europe que font peser les dirigeants russe et les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire réalisées en Ukraine, le Conseil de l’Europe prononça l’exclusion de la Russie le 16 mars 2022.
Il est intéressant de noter que la Cour était toujours compétente pour connaitre de l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui puisque les faits à l’origine des différentes requêtes soumises à la Cour ont eu lieu avant la date d’exclusion de la Russie. L’Etat est donc tenu d’exécuter cet arrêt.
2. La reconnaissance des couples homosexuels au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe
Comme le souligne la Cour européenne des droits de l’Homme dans cet arrêt, il existe une tendance nette à la reconnaissance des couples homosexuels au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe. Ce mouvement de reconnaissance s’est accentué ces dernières décennies.
A l’heure actuelle, trente Etats membres offrent une reconnaissance juridique aux couples de même sexe. Dix-huit d’entre eux permettent à ces couples de se marier (dont huit autorisent également la conclusion d’autres formes d’union). Douze Etats membres ont mis en place des formes d’union alternatives au mariage.
Dix-sept Etats membres, essentiellement d’Europe de l’Est, n’ont cependant mis en place aucune possibilité de reconnaissance juridique.
Cette actualité est associée aux catégories suivantes : Union libre - Droit européen et international
- juillet 2023
- mai 2023
- mai 2021
- janvier 2021
- décembre 2018
- septembre 2018
-
Par téléphone :
-
Par mail :
-
On vous rappelle :