Contrat d'assurance vie: qui est le bénéficiaire, enfant ou épouse du défunt?
Par un arrêt de cassation du 16 septembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé le régime de la prescription extinctive applicable à une action en nullité intentée par l’épouse du défunt, anciennement bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, contre ses enfants, nouveaux bénéficiaires dudit contrat.
Monsieur LM, le souscripteur, a souscrit un contrat d’assurance-vie « Ecureuil projet » le 6 avril 1993 auprès de la CNP assurances, par le biais de la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Provence-Alpes-Corse, la banque. Lors de la conclusion de ce contrat, le souscripteur a désigné son épouse en tant que bénéficiaire, Madame ZT.
Par un avenant en date du 26 mars 2008, le souscripteur a modifié la clause du bénéficiaire de ce contrat, désignant ses deux enfants RM et QM, en tant que bénéficiaires.
Le souscripteur est décédé le 28 juin 2012.
Le 8 août 2013, la veuve du souscripteur a assigné la banque et ses enfants afin d’obtenir la nullité de l’avenant du 26 mars 2008 instituant ses enfants comme uniques bénéficiaires et de se voir reconnaître la qualité de bénéficiaire. La veuve demande en conséquence la condamnation de la banque à lui payer les sommes dues au titre du contrat d’assurance et à lui payer également des dommages et intérêts.
Sa demande est accueillie en première instance mais la veuve est déboutée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui déclare son action en nullité irrecevable car prescrite sur le fondement de l’article 2224 du code civil. La veuve a formé un pourvoi en cassation.
La prescription extinctive de droit commun est-elle applicable à une action en nullité formée par un ancien bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, épouse du souscripteur, à l’encontre des nouveaux bénéficiaires, leurs enfants ?
Par un arrêt du 16 septembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, mais seulement en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’action en nullité formé par la veuve en se fondant sur la prescription de droit commun. La Cour de cassation sanctionne ainsi le raisonnement des juges du fond du fait de l’inapplication du régime spécial du droit des assurances applicable à l’action en nullité (I-) et elle sanctionne également la mauvaise application du régime de la prescription de droit commun à une action en nullité entre époux (II-).
I- L’application dérogatoire du régime spécial du droit des assurances à l’action en nullité dirigée contre un contrat d’assurance-vie
La Cour de cassation vient tout d’abord sanctionner la décision des juges du fond en raison de leur refus d’application du régime dérogatoire prévu par le Code des assurances, qui était le seul régime applicable en l’espèce. Il n’est donc pas question d’appliquer le régime de la prescription extinctive de droit commun mais bien celle prévue par les règles spéciales du Code des assurances.
Dans son arrêt du 16 septembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise clairement que toutes actions relatives à un contrat d’assurance-vie sont soumises au droit des assurances et au Code des assurances. La matière du droit des assurances est dérogatoire au droit commun et l’article L 114-1 du code des assurances prévoit une prescription biennale pour toutes les actions dérivant d’un contrat d’assurance-vie.
Cependant il convient de préciser que depuis la loi du 31 décembre 1989, un nouveau délai de prescription a été adopté en fonction de la qualité de l’auteur de l’action. Désormais le bénéficiaire dispose d’un délai de dix ans pour exercer son action en paiement dès lors qu’il n’est pas le souscripteur. Il existe donc deux délais distincts en fonction de la qualité du bénéficiaire.
La Cour de cassation sanctionne ainsi le raisonnement des juges du fond en précisant qu’ils ont refusé d’appliquer l’article L 114-1 du Code des assurances. Le motif de cassation est donc un défaut d’application de cet article, qui doit être mis en relation avec la fausse application de l’article 2224 du code civil. En conséquence, un délai de prescription de dix ans aurait dû être appliqué en l’espèce.
Dès lors, la veuve disposait d’un délai de dix ans à compter du décès de son époux pour former une action en nullité contre l’avenant au contrat d’assurance et non de deux ans.
II- La mauvaise application du régime de la prescription extinctive de droit commun à une action en nullité entre époux
Le principe de la prescription extinctive de droit commun a été retenu par les juges du fond qui se fondent sur l’article 2224 du Code civil tel qu’issu de la réforme du 17 juin 2008. L’action en nullité formée par la veuve du souscripteur se prescrit par cinq ans, selon la Cour d’appel. Il convient de préciser que la loi du 17 juin 2008 est entrée en vigueur le 19 juin 2008. Ainsi selon le raisonnement des juges du fond, le délai de cinq ans est applicable à l’action en justice de la veuve, délai expiré le 19 juin 2013. La veuve ayant formé son action le 8 août 2013, les juges du fond estiment que son action est prescrite du fait de l’écoulement du délai de droit commun.
Cependant la Cour de cassation sanctionne ce raisonnement en se fondant sur l’article 2236 du Code civil et vient rappeler le régime applicable à une action en nullité entre époux. L’article 2236 du code civil prévoit que la prescription ne joue pas entre époux. Autrement dit, la prescription ne court pas ou est suspendue entre les époux. Cette règle permet de décaler le point de départ de la prescription au jour où les époux ne sont plus unis par le mariage.
La Cour de cassation précise ainsi que le point de départ du calcul de la prescription ne peut être le 19 juin 2008 car le souscripteur et l’auteur de l’action en nullité étaient toujours mariés. La prescription ne peut donc commencer à courir qu’à partir du décès du souscripteur, le décès entrainant juridiquement la dissolution du mariage, soit en l’espèce le 28 juin 2012. Dans cette hypothèse, le point de départ de la prescription de droit commun aurait dû être le 28 juin 2012 et l’action en nullité aurait été prescrite le 28 juin 2017. Les juges du fond n’ont donc pas pris en compte le report du point de départ de la prescription. L’action en nullité de la veuve aurait été valable même en appliquant le régime de droit commun.
Civile 2ème, 16 septembre 2021, pourvoi n°20-10.013
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