Gestation pour autrui:demande d’avis à la Cour européenne des droits de l’Homme.
Par un arrêt du 5 octobre 2018, la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière demande à la Cour européenne des droits de l’Homme l’entérinement au regard des droits de l’Homme du droit positif français en matière de gestation pour autrui pratiquée légalement à l’étranger (Cass. ass. plén., 5 octobre 2018, n° 10-19.053).
La question de la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissances des enfants nés d’une convention de gestation pour autrui légalement pratiquée à l’étranger a fait l’objet d’années de controverses jurisprudentielles.
Rappelons-le, la gestation pour autrui est strictement interdite en France ; l’article 16-7 du Code civil tel qu’il résulte de la loi bioéthique de 1994 dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » et l’article 16-9 de préciser que cette disposition est d’ordre public. Plus encore, l’article 227-12 du Code pénal sanctionne la pratique d’une peine de 6 mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende.
Cette interdiction ne fait pas l’unanimité à l’internationale ; elle est notamment autorisée dans la quasi-totalité des Etats Unis, au Canada, en Russie, en Ukraine, en Grèce, en Géorgie et plus récemment au Portugal.
Aussi de nombreux époux français ont déjà contourné la loi française prohibitive en se rendant à l’étranger pour mettre au monde un enfant au moyen d’une telle convention, avant de revenir en France dans l’espoir de l’y faire reconnaître.
Ces hypothèses ont dès lors été condamnées par la jurisprudence françaises.
CHRONOLOGIE
2008 La Cour de cassation casse l’arrêt d’une Cour d’appel qui admettait la retranscription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance américain d’un enfant né de GPA, ceci dans « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Selon la Haute juridiction, la transcription d’un tel acte était contraire à l’ordre public international (Cass. civ.1ère, 17 décembre 2008, n°07-20.468) ;
2011 C’est encore au nom de l’ordre public international que la Cour de cassation s’oppose à la retranscription des actes étrangers d’enfants issus de gestation pour autrui. A l’occasion de deux célèbres affaires similaires « Menesson » et « Labassée », la Haute juridiction statue ainsi : « Est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision, lorsque cette décision heurte des principes essentiels du droit français (Cass. civ. 1re, 6 avril 2011, n° 09-66.486 ; n° 10-19.053). Les époux Menesson et Labassé ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme ;
2013 C’est sur le terrain de la fraude à la loi française que la Cour de cassation s’oppose à la retranscription sur les registres de l’état civil français : « est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public » (Cass. civ. 1, 13 septembre 2013, n° 12-18.315) ;
2014 La Cour européenne des droits de l’Homme rend sa décision dans les affaires « Menesson » et « Labassée » ; elle relève que la jurisprudence de 2011 empêchait totalement l’établissement du lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui – régulièrement réalisée à l’étranger – et leur père biologique ; ce qui est contraire au respect de la vie familiale de l’enfant garanti par l’article 8 de la Convention (Cour eur. DH, 26 juin 2014, n° 65192/11 ; n°65941/11) ;
2015 La Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, tire les conséquences de l’arrêt de la Cour européenne. Elle énonce qu’en cas de gestation pour autrui réalisée à l’étranger, l’acte de naissance peut être transcrit sur les registres de l’état civil français en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention, qui n’a pas accouché (Cass. ass. plén. 3 juillet 2015, n° 14-21.323) ;
2016 La Cour européenne réaffirme sa position à l’occasion des arrêts Foulon c. France et Bouvet c. France (CEDH 21 juillet 2016, n° 9063/14 ; n° 10410/14).
2017 La Cour de cassation, par quatre arrêts du 5 juillet 2017, réitère d’abord sa jurisprudence de 2015 : elle persiste dans son refus de reconnaître la filiation maternelle déclarée sur l’acte d’état civil des enfants nés par une mère porteuse. La filiation paternelle est quant à elle reconnue. La nouveauté de cette jurisprudence est qu’elle permet l’adoption de l’enfant par le conjoint, fut-il marié à un homme par un mariage légalement reconnu en France.
DROIT POSITIF
Il en ressort que l’état du droit français pour un couple parti concevoir un enfant par gestation pour autrui légalement à l’étranger est le suivant :
La retranscription sur les registres de l’état civil de la filiation paternelle du père biologique est possible, dès lors qu’elle correspond à la « réalité » au sens du droit français.
En revanche n’est pas possible la retranscription sur les registres de l’état civil de la filiation des parents d’intention ; à savoir la mère qui n’a pas accouché – sans qu’il n’ait jamais été précisé s’il y a lieu à une différence selon qu’elle ait ou non donné ses gamètes –, ou le père qui n’aurait pas donné ses gamètes pour la conception.
Pour ces derniers, la Cour de cassation a, en 2017, ouvert la voie de l’adoption, laquelle permet d’établir une filiation au même titre qu’une filiation naturelle.
L’ARRÊT DU 5 OCTOBRE 2018
Après l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme, les époux Mennesson, qui avaient été déboutés en 2011 par la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 6 avril 2011, n° 10-19.053), ont sollicité le réexamen de leur affaire.
La Haute juridiction, réunie en Assemblée plénière, saisit l’occasion pour sursoir à statuer et interroger la Cour de Strasbourg sur les points suivants :
En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa “mère légale” la “mère d’intention”, alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le “père d’intention”, père biologique de l’enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?
A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la “mère d’intention” ?
Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?
QUELS SONT LES ENJEUX ?
Les questions posées par la Cour de cassation sont précises et délicates ; de leur réponse dépendra l’évolution ou non du droit positif français s’agissant des GPA pratiquées à l’étranger.
Si la Cour européenne venait à conclure à une non violation de l’article 8 de la Convention, il s’agirait d’un entérinement de la jurisprudence française, permettant pour l’instant de faire obstacle à toute évolution favorable aux parents d’intention.
Si en revanche, elle concluait à une violation de l’article 8, elle ouvrirait la voie à la reconnaissance pure et simple des liens de filiation pour les enfants nées de GPA légalement à l’étranger. Une telle solution serait délicate à transposer en droit français, tant le droit interne de la filiation y est opposé, en particulier s’agissant du lien de filiation maternel. Rappelons en effet qu’en droit français, la filiation maternelle est naturelle et liée à l’accouchement.
La solution qu’adoptera la Cour européenne est très incertaine ; on peut néanmoins rappeler qu’en 2017, la Cour a statué dans une décision où la loi italienne était en cause, estimant qu’ « en l’absence de tout lien biologique, l’Etat n’est pas obligé de reconnaître une filiation légale pour les couples ayant recouru à la GPA » (CEDH, 24 janvier 2017, Paradiso c. Italie, n° 25358/12).
L’avis consultatif de la Cour européenne est donc très attendu.
(Article rédigé avec la collaboration de Simon ISSLER)
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