Pourquoi les pères divorcés obtiennent-ils rarement la garde des enfants?
Publié le 19/05/2014 Par Caroline Politi - lexpress.fr
Les députés se penchent ce lundi sur la nouvelle loi sur la famille. Elle prévoit notamment de revaloriser la place du père dans l'éducation des enfants en cas de séparation, en instituant le principe de "double résidence".
En arrivant dans le bureau du juge, Nicolas* était plutôt confiant. Stressé certes, mais convaincu que le magistrat lui accorderait la garde de ses deux enfants, 2 et 5 ans au moment du divorce. Ou tout du moins, la résidence alternée. Il avait, selon son avocat, tous les critères requis: une bonne situation, un grand appartement proche de celui de son ex-femme, un emploi du temps relativement flexible... Pourtant, le juge en a décidé autrement. La résidence principale a été accordée à la mère. Nicolas n'a obtenu qu'un droit de visite élargi.
Le cas de cette famille originaire de Mayenne est loin d'être unique. D'après les chiffres du ministère de la Justice, seuls 12% des enfants de parents séparés sont confiés au père. Contre 71% à leur mère. Les autres (17%) résident une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre. Pour mettre fin à cette inégalité et réaffirmer l'exercice conjoint de l'autorité parentale, les députés examinent ce lundi la nouvelle loi famille, dite "autorité parentale et intérêt de l'enfant". Parmi les propositions phares: la résidence au domicile de l'un des deux parents ne se fera qu'à titre exceptionnel. L'enfant sera domicilié chez ses deux parents, selon des modalités de fréquences et de durées définies par le juge.
"Les magistrats sont persuadés que les pères sont de moins bons parents"
Pourquoi une telle loi en 2014? L'image de la mère, seule à être en mesure d'assumer le soin des enfants, a-t-elle toujours la vie dure dans les tribunaux? "Les pères sont systématiquement discriminés dans les procédures de divorce, fulmine Philippe Veysset, porte-parole de la Grue jaune, une association qui se bat pour l'égalité parentale. Les magistrats fonctionnent avec des stéréotypes archaïques et sont persuadés que les pères sont de moins bons parents".
Et plus les enfants sont jeunes, plus la balance penche en faveur des femmes, selon Me Laurence Mayer, avocate spécialiste en droit de la famille. "Jusqu'à 5-6 ans, les juges confient quasiment systématiquement la garde à la mère. Ils estiment que les enfants en ont plus besoin que de leur père. Certains magistrats vont même jusqu'à refuser la garde alternée, arguant qu'avoir deux maisons les empêchent de se construire des repères. Or, grandir avec seulement l'un de ses deux parents n'est pas plus simple pour la construction d'un enfant".
La garde confiée à la mère, une décision prise à deux
Pourtant, la situation est plus nuancée: si près des trois-quarts des enfants vivent avec leur mère, c'est d'abord parce que les deux parents l'ont voulu. Selon un rapport du ministère de la Justice, dans les divorces par consentement mutuel - soit 80% des 6000 cas analysés dans l'étude - les parents choisissent la résidence chez la mère dans 71% des cas, la garde alternée dans 19% des cas, la résidence chez le père dans seulement 10%. Les supposées réticences du juge n'entrent donc pas en compte puisque celui-ci ne fait qu'entériner la décision des parents.
"Il est très rare qu'un père demande la garde pleine, confirme Me Blandine Cuvilier-Lejeune, du barreau de Lille. Et cela se produit généralement dans des situations très particulières, comme lorsque la mère déménage à l'autre bout de la France". Un point de vue que nuance le militant Philippe Veysset. Selon lui, si les pères ne demandent pas la garde, c'est avant tout "parce qu'ils savent qu'ils ont très peu de chances de l'obtenir. On les décourage tellement qu'ils pensent que cela ne sert à rien de se battre".
La garde alternée prend de l'essor
En revanche, la garde alternée est de plus en plus "prisée" des couples en instance de divorce: elle a augmenté de 70% entre 2003 et 2012. "Cela s'explique principalement par des évolutions culturelles : les pères sont de plus en plus modernes, ils s'impliquent dans l'éducation de leurs enfants et veulent donc être présents", assure Me Mayer.
En réalité, c'est dans le cas de désaccords entre les parents - qui constituent 10% des divorces analysés dans l'étude du ministère de la Justice - que les pères sont désavantagés. Dans 63% des cas, la garde est accordée à la mère contre 19% au père. "Le juge statue en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant, explique Me Blandine Cuvilier-Lejeune. Qu'est-ce qui va le moins le perturber ? Or, aujourd'hui, même si la situation évolue, c'est généralement les femmes qui se chargent du quotidien, qui diminuent leurs temps de travail, qui vont les chercher à l'école... Le juge tient compte de ces habitudes pour prendre une décision". La répartition des tâches dans le couple serait-elle donc un levier pour plus d'égalité, y compris en cas de séparation?
* Son prénom a été changé
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